La fierté d’être Wallon (1) : I.1. Le passé forge le présent et le présent prépare l’avenir – De plan en plan

By | 1 avril 2022

Ci-après un extrait de l’essai publié en 2009 « La fierté d’être Wallon » (éditions La Kallah), au moment du lancement du Plan Marshall après le flop de 2 contrats d’avenir.

«

La littérature et les recherches sur la crise wallonne sont abondantes. J’affirme qu’en trois décennies, de nombreux chercheurs et auditeurs, de toute qualification et de toute qualité, se sont nourris de la bête malade. Ils n’ont pas été les seuls à se pencher sur le patient. Un grand nombre d’organisations se sont préoccupées et se préoccupent encore de l’état de santé de la Wallonie. Des êtres politiques ont déployé toutes leurs forces pour la ranimer. D’autres ont occulté la situation ou se sont contentés de rajouter des couches institutionnelles, masquant ainsi la profondeur du mal.

Nombre de chômeurs complets indemnisés

1974    32 794
1975    58 855 (1)

« Le redressement wallon » Jean Gol (1977)

En 1977 déjà, sortant de sa charge de secrétaire d’Etat à l’Economie régionale wallonne, Jean Gol rédige « Le redressement wallon – Réalisme et réformes – Les solutions des réformateurs wallons face à la crise »(2).

A la fin de la préface, le ton est donné par Jean REY, ministre d’Etat : « le moment, pour les Wallons, n’est plus de se plaindre, mais d’agir. Répétons-le encore : tous ensemble. »

Constat :

« Les Wallons sont anxieux », écrit Jean Gol. « Notre région est confrontée depuis longtemps à la détérioration de son économie fondée sur des industries héritées du passé. La crise générale du monde industrialisé a frappé de plein fouet une région déjà affaiblie. »

Jean Gol énumère et analyse la crise wallonne. Il évoque, notamment, « une structure industrielle inadaptée aux exigences du présent et de l’avenir ».

–  La Wallonie, contrairement à la Flandre, possède une structure industrielle inadaptée aux exigences du présent et de l’avenir.

– Le tissu industriel comporte, plus qu’ailleurs, des entreprises grandes pourvoyeuses d’emplois, dont la rentabilité s’avère mauvaise.

– Les plans de relance économique, ainsi que les plans conjoncturels de soutien à la consommation, lancés à l’échelle nationale ont également contribué à l’essor de la crise.

–  S’ajoutent à cela des maux spécifiquement belges : une inflation nourrie par une pression fiscale et parafiscale, une forte dépendance vis-à-vis du commerce extérieur pesant sur la compétitivité des entreprises, un esprit d’entreprise insuffisant et entravé par les pouvoirs publics.

Solutions :

Parmi les propositions formulées par Jean Gol, je retiendrai, entre autres :

  • « Ne pas aborder la crise en fonction d’une idéologie socialiste ou capitaliste. Il faut travailler de façon pragmatique sur la base d’un contrat partagé par la population: la liberté ne peut plus être celle du renard libre dans un poulailler.
  • L’organisation de la croissance doit résulter d’une stratégie de progrès processif, permettant de produire plus, mieux, à usage plus long, avec moins d’énergie, moins de matières premières et en détériorant moins l’environnement. L’Etat doit prendre ses responsabilités et y veiller, mais l’initiative publique (financière ou industrielle) ne peut être prédominante dans la vie économique. Tout est affaire d’équilibre ».

Jean Gol propose d’agir via :

– L’octroi de pouvoirs politiques et de moyens financiers proportionnés aux Régions, afin de dégager et d’orchestrer des solutions économiques adaptées. Création d’organes économiques régionaux.

– Une nouvelle politique industrielle pour la Wallonie

– L’orientation du développement en fonction des marchés plus que des techniques de production

– L’encouragement des investissements

– Le fait de tirer un meilleur profit de nos ressources naturelles

– Le développement de la recherche technologique

– L’accroissement des exportations

En 1977, le diagnostic et les propositions ouvrent la voie à un « nouveau contrat Wallon » (André Damseaux –Président du PRLW).

Nombre de chômeurs complets indemnisés

1981    123 392

Organiser le redressement industriel de la Wallonie
Telesis : le premier audit d’une Région wallonne plus autonome – 1983

En juin 1981, l’exécutif régional wallon confie à Telesis une mission d’audit portant sur « les instruments et structures d’une politique industrielle wallonne ».

L’étude se déroule en trois phases : un inventaire et une typologie des moyens d’action (constat), un audit comparatif des moyens d’action de la Région et l’élaboration d’un schéma d’ensemble de la gestion du développement wallon, ainsi que la détermination des instruments et structures adaptés au défi de la réindustrialisation.

La conclusion de l’audit nous livre ceci :

Constat :

« Les outils nationaux de politique économique conçus dans les années 60 ne sont plus adaptés à la gravité de la situation économique en Wallonie, due au poids relatif exceptionnellement élevé des industries en déclin structurel. Leur utilisation n’a pas permis de renverser la tendance à la désindustrialisation et l’absence d’outils appropriés au nouveau contexte a contribué à leur déviation par rapport à leurs objectifs d’origine.

L’application des lois d’expansion économique en particulier, conçues pour soutenir des activités en développement, a en fait orienté une grande partie des ressources vers des secteurs en déclin pour lesquels n’existait pas d’outil d’intervention spécifique, et sans que ces aides soient associées à de véritables restructurations.

Les outils dont est dotée la Région sont par contre mieux adaptés aux temps de crise parce qu’ils permettent une plus grande sélectivité et une concentration des efforts : la dotation de la SRIW, les missions déléguées, la CPTEI, la CGCT rendent possible une politique industrielle volontariste.

Ces outils sont donc aussi par définition les plus complexes à manier : les interventions doivent s’appuyer sur une vision stratégique d’ensemble, et sur des critères adaptés aux responsabilités spécifiques de l’acteur public, soucieux à la fois du devenir des capitaux publics investis et de la croissance de la valeur ajoutée régionale.

Or, s’ils ont permis un engagement rapide dans le tissu industriel régional – les participations de la Région représentent aujourd’hui en termes d’emplois un poids proche de celui de Cockerill – ces outils n’ont pas été structurés pour prendre des décisions de cette importance, ni surtout pour gérer les investissements consentis.

Solutions :

Il nous semble donc prioritaire pour la Région wallonne d’une part de se concentrer sur la gestion de l’acquis des dernières années pour tirer parti des efforts financiers déjà accomplis, et d’autre part de resituer son action sélective dans le cadre d’une vision stratégique régionale qui reste à formuler. C’est le renversement de l’image même de la Région qui est en jeu. La professionnalisation de la gestion de l’acquis devrait faciliter l’engagement d’une véritable concertation stratégique sur des projets d’abord modestes. Les premiers résultats tangibles devraient favoriser l’indispensable jonction avec le reste de l’industrie, ainsi que préparer les esprits à la prise en charge de responsabilités nouvelles. »

Nombre de chômeurs complets indemnisés

1986    157 186

Le congrès des socialistes wallons (Ans – 1991)

En pleine guerre du Golfe, les socialistes wallons tiennent un congrès à Ans.

Un des trois thèmes de travail est « L’avenir économique et financier de la Wallonie ».

Parmi les interventions, je retiendrai celles de :

Michel Daerden, député, co-président du congrès :
« Il me semble que la Commission économique a opéré le bon choix…, en prônant en même temps que la prise en compte du dynamisme sous-régional ou communal, le maintien – et moi je dirais même le renforcement – d’une cohésion et d’une coordination wallonnes au niveau régional le plus élevé qui soit, c’est-à-dire via les instrument économiques les plus proches de l’Exécutif.»

Jacques Santkin, député, rapporteur de la commission économique et financière :
« Au point de vue économique, quel est le diagnostic ? Une certaine amélioration, mais pas de triomphalisme. L’accroissement du chômage est au nombre des préoccupations prioritaires. Quant au phénomène de désindustrialisation des secteurs traditionnels,…, il n’a pas encore trouvé de réponse satisfaisante. »

Robert Collignon, sénateur, président du comité permanent des fédérations socialistes wallonnes, et Claude Durieux, député permanent, rapporteur des travaux de la commission institutionnelle, n’évoquent en rien la crise que traverse la Wallonie.

Des propositions émergent toutefois de ce congrès :

  • Trois valeurs essentielles : l’emploi, la solidarité et la démocratie économique
  • Des actions :

– opérer une sélectivité dans l’aide aux entreprises en difficulté,
–  encourager la recherche et l’innovation technologique,
–  promouvoir l’accueil des investisseurs potentiels,
–  pratiquer une politique d’expansion économique sélective,
–  orienter les commandes publiques,
–  renforcer la présence publique régionale et locale dans le secteur énergétique,
–  accorder la priorité aux programmes d’investissements en transports, travaux publics et communications,
–  développer les initiatives de résorption du chômage,
– aider l’économie sociale,

Et pendant ce temps-là : 50 ans d’histoire de la Wallonie – CESRW

 « Dès 1990, le mouvement s’essouffle. La Belgique et la Wallonie subissent elles aussi le ralentissement de l’économie américaine et les incertitudes liées à la guerre du Golfe.

Si l’inflation repart à la hausse dès 1989 (en restant toutefois à des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis les années ’60), le retournement se situe au début des années ’90, où la croissance du PIB repasse sous la barre des 2% et où le nombre de chômeurs augmente à nouveau pour la première fois depuis 1984 en Belgique et depuis 1987 en Wallonie.

Mentionnons encore que les exportations wallonnes stagnent et que la croissance des investissements ralentit. Le tout conduira la Belgique et la Wallonie à la récession de 1993 »

 Nombre de chômeurs complets indemnisés

1994    196 357

 Objectif 100 – Louis Michel 1998

En 1998, Louis Michel, président du PRL, présente un Objectif 100 pour redresser la Wallonie (3). « A ce jour, le bilan de valorisation des points forts et d’élimination des faiblesses de la Wallonie est largement négatif, faute d’avoir pu mettre en œuvre, lors de l’effondrement des activités industrielles (…), un projet cohérent de développement socio-économique. La conséquence de ce manquement est qu’aujourd’hui, en termes de croissance économique, la Wallonie se trouve dans le peloton de queue des régions de l’Union européenne. »

Louis Michel propose, au travers de cet « Objectif 100 » (100 étant égal à la moyenne de la richesse produite en Europe, là où elle était de 85 en Wallonie), un plan de redressement pour la Wallonie. Un contrat de confiance.

 Plan de convergence – Philippe Maystadt 1998

En 1998, Philippe Maystadt, président du PSC, présente un Plan de convergence pour la Wallonie : « Plus l’incertitude à court terme est grande, plus le projet à long terme est nécessaire. C’est pourquoi, il nous a paru utile d’élaborer un plan de convergence pour la Wallonie et de présenter aux Wallonnes et aux Wallons un projet à long terme, une vision de ce que pourrait être la Wallonie en 2010 s’ils le veulent ensemble. »

Philippe Maystadt propose au travers de ce plan un calendrier des réformes, une programmation annuelle des objectifs, ainsi qu’une simulation budgétaire.

Je voudrais relever particulièrement que Philippe Maystadt et son équipe ont été les seuls à présenter une simulation budgétaire. Je précise aussi qu’ils n’ont pas figuré dans la majorité en 1999.

Le Contrat d’avenir – Exécutif wallon – 1999

En 1999, sous l’impulsion d’Elio Di Rupo, président éphémère de l’exécutif wallon, et de Serge Kubla, vice-président, le « Premier Contrat d’avenir » de la Région wallonne est mis en chantier.

Ce document est très largement inspiré des deux documents précédents.

Nombre de chômeurs complets indemnisés

2004    197 973

 Second audit de la Région wallonne – McKinsey- 2004

En 2001, l’exécutif wallon commande à McKinsey un audit de la Wallonie, la comparant à 10 autres régions similaires en Europe (Finlande, Ecosse, Irlande, Nord-Pas de Calais, …). Le consultant en a retiré 10 recommandations :

  • Encourager la création de start-up
  • Développer l’esprit d’entreprise chez les jeunes
  • Concentrer les entreprises innovantes dans des « clusters »
  • Accroître les coopérations entre les centres de recherche et les entreprises
  • Créer une bourse centrale pour faciliter la transmission de PME
  • Simplifier les organismes d’animation économique
  • Améliorer la productivité dans les grandes entreprises
  • Poursuivre la simplification administrative
  • Simplifier et stabiliser le cadre réglementaire
  • Renforcer l’accompagnement des chômeurs

Prospero – Audit de McKinsey Un nouvel élan pour la prospérité économique en Belgique – 2005

Ce rapport commandé par l’Etat fédéral n’aborde pas spécifiquement la problématique wallonne.

Néanmoins, il exprime de manière explicite quelques points inhabituels, parmi lesquels :

  • Le poids de l’économie souterraine
  • Une transparence accrue de tous
  • Une implication de « 10 000 000 d’acteurs de prospérité »
  • Le point de la réglementation de l’administration en Belgique.

Nombre de chômeurs complets indemnisés

2009    202 206 (4)

Que pensez de tout cela ?

Cette énumération de plans et autres audits n’est évidemment pas exhaustive et leur relevé n’a rien de scientifique. Ma prétention n’est, en effet, pas de faire œuvre scientifique, mais bien citoyenne.

J’ai choisi de mesurer cette intense activité déployée pour sortir la Wallonie du marasme à l’aune d’un paramètre reflétant l’une des préoccupations les plus proches des personnes : le chômage. Il s’agit en effet, avant tout, d’un drame personnel.

« A cet égard, le chômage reflète le plus dramatiquement les changements en cours ; on oublie trop souvent que le chômage est un processus sélectif : il se reporte massivement sur des catégories vulnérables d’actifs, dont l’enlisement cumulatif dans le chômage a peu de choses à voir avec le niveau des indemnités de chômage. »(5)

Le chômage est aussi un drame social dans la mesure où il génère des dépenses d’allocations, un manque à gagner de recettes fiscales et sociales, et enclenche une machine administrative lourde et coûteuse…, ce qui est peu dire.

Observations

Toutes les études dont j’ai pu prendre connaissance et les interventions d’êtres politiques face à la crise wallonne, m’amènent à faire une série d’observations.

– Il y a plus de trente ans, Jean Gol attirait notre attention, avec la pertinence et l’acuité dont il avait le secret, sur la crise majeure et profonde de la Wallonie. Trente ans plus tard, le sentiment n’est pas à l’allégresse. C’est peu dire.

– Les mesures prises n’ont pas fait l’objet d’un réel consensus politique, professionnel (patronal ou syndical) et surtout citoyen, et ce malgré la première considération de base de Jean Gol, ainsi que celles des autres acteurs. J’ai assisté à Ottignies au discours de Monsieur Jean-Claude Van Cauwenberghe, ministre président de la Région wallonne, vantant les mérites du Contrat d’avenir. Cet événement se déroulait après les élections régionales, donc après que l’électeur eut fait son choix. Il nous demandait d’adhérer à un programme pour lequel le citoyen n’avait pu s’exprimer à travers un vote.

– Les préoccupations des êtres politiques en 1991, tels que Michel Daerden, me donnent le sentiment qu’ils ne s’intéressent qu’aux institutions et au pouvoir. Ce qui s’est passé depuis lors me donne-t-il tort ?

– Il est plus que temps que les Wallons se rendent compte que le « Politique » ne peut que créer un environnement favorable, mais ne peut en aucun cas produire la richesse.

– Il est plus que temps que les politiques et les syndicats ne donnent plus l’illusion de pouvoir créer de la richesse.

– Hervé HASQUIN dans l’ouvrage « la Wallonie, son histoire »(6) a montré la puissance entrepreneuriale des Wallons. Ceux-ci furent à l’avant-garde de la révolution industrielle. Il leur reste, à défaut de disparaître, à inventer une nouvelle révolution. Et tout simplement à se réveiller.

– Un tas d’autres études ont analysé le cas wallon. Je songe, notamment, à Alain Destexhe, à Michel Quévit (UCL), à Giuseppe Pagano (Université de Mons-Hainaut), à Michel Mignolet (Facultés de Namur), au groupe de la Warande….

 La Wallonie apparaît comme une poule sans tête, qui court comme une sotte !

Cela suffit. Nous ne sommes plus crédibles.

 Notre société est malade de ses corps intermédiaires essentiellement professionnels, de ces groupes corporatistes et conservateurs des intérêts de leurs membres. Dès lors qu’ils sont installés, ils contribuent au blocage de la société. Malheur aux individus qui ne font partie d’aucune de ces castes – infirmières, sans papier, intermittents du spectacle, créateurs, êtres humains libres… Le problème majeur des corps intermédiaires réside dans ce que, une fois la course à la création de leur « ordre » achevée, ils utilisent toute leur énergie à la préservation des acquis et non à créer une société nouvelle. Ils en oublient de parler de leur métier avec passion et en rayonnant. C’est ainsi que les grands partis, par exemple, bénéficiant d’un financement structurel de l’Etat, sont devenus des syndicats d’élus en moins de vingt ans. Des élus véritables professionnels de la chose publique, alors que la politique est l’affaire de tous et que seule la gestion de la chose publique est un métier. Les organisations professionnelles syndicales ou patronales bénéficient elles aussi de financements publics.

(1) http://ecodata.mineco.fgov.be/mdf/ts_downltable.jsp?table=ZCHA7, chiffres au 31/12
(2) Jean Gol, Le redressement wallon – Réalismes et réformes – Les solutions des réformateurs wallons face à la crise, 70 pages, 1977.
(3) Objectif 100, La Wallonie j’y crois !, 1998, PRLEditions
(4) Chiffre www.onem.be
(5) Note de Robert Tollet, à l’époque expert au Bureau du Plan in L’avenir économique de la Belgique, Un Rapport à la Fondation Roi Baudouin, 1981
(6) Hervé Hasquin, La Wallonie, son histoire, Editions Luc Pire, 1999


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