Pour plus de débat public

By | 16 juillet 2018

La Charte du Débat proposée par les fondateurs de la Fondation pour le Débat

Cette charte du débat vise tout débat public

Parce que la démocratie est en danger, la Fondation pour le Débat a pour but désintéressé de favoriser par toutes les approches possibles la liberté d’expression, ainsi que l’émergence et la concrétisation d’une culture du débat. Elle aura un intérêt particulier à l’élaboration des principes de loyauté et de respect, avant, pendant et après le débat.

« Au lieu d’imposer à tous les autres une maxime dont je veux qu’elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à tous les autres afin d’examiner par la discussion sa prétention à l’universalité. Ainsi s’opère un glissement : le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun souhaite faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle ». (Jürgen HABERMAS, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, Cerf, Paris, 1996, p. 88.)

Qu’est-ce qu’un débat public ?

Dans les processus décisionnels (politiques, éthiques, économiques, scientifiques, culturels…) de la cité, le débat est une étape s’inscrivant en amont du processus d’élaboration d’un projet. Il est issu d’une intention. Il n’est pas le lieu de la décision, mais un temps d’ouverture et de dialogue au cours duquel la population peut s’informer et s’exprimer sur le projet selon des règles définies[1]. Le débat est donc un temps d’ouverture et de dialogue au cours duquel des points de vue différents, des opinions et des valeurs divergentes  sont confrontés. Le débat est fondé sur l’interdépendance de penser et de pensées.
Le débat doit s’accompagner d’un processus décisionnel ou d’un constat d’accord, voire de désaccord.

Nous estimons que le débat n’est l’apanage de personne. Il peut naître à partir de la volonté de tout citoyen.

Pourquoi débattre ?

Comment pouvons-nous savoir si nos options fondamentales sont bonnes ou mauvaises ? N’est-ce pas en les confrontant aux options radicalement différentes et en allant, si possible, jusqu’au bout de la discussion ? Les êtres humains ne peuvent devenir acteurs de leur histoire qu’en passant par la parole publique.

Sans une telle confrontation et son risque, nous nous contentons d’arrêter arbitrairement nos choix.
Seuls de vrais débats permettent de changer notre regard sur l’autre, de considérer nos différences non négativement, comme un danger dont il faut se protéger, mais positivement, comme une richesse qui nous oblige à une remise en question de nos propres convictions, non pour les abandonner, mais pour les tester.

Dans un sens citoyen, le pourquoi du débat est essentiel à la vie démocratique. « Idéalement, le processus démocratique garantit à toute personne la possibilité de faire entendre sa voix. Il s’agit d’un processus qui invite au pluralisme, à la diversité et à la différence d’opinions, avec pour ambition d’examiner les questions à partir d’un maximum d’angles pour trouver la meilleure solution commune. »[2]

Le débat nous amène à apprendre à confronter nos visions à celles d’autres individus et d’autres groupes. Lors du débat, chacun prend le risque d’entrer dans un processus de conflit et dans l’incertitude. Il est donc essentiel que chacun sache que dès qu’il s’inscrit dans un débat, il prend le risque d’être remis en cause.

Débattre développe aussi les capacités des participants car il permet le partage d’informations, de données et d’expériences. Le débat est donc un moment d’apprentissage.

Dans les meilleurs des cas, une volonté commune peut naître du débat : cette volonté commune, fondée sur la volonté de chacun, peut conduire graduellement à une refonte de l’organisation sociale.[3]

Pourquoi une éthique du débat ?

Le débat est fondamental en ce début du XXIème siècle. Il s’inscrit dans un processus permanent d’élaboration d’un projet de société qu’il nourrit.

Une éthique du débat est indispensable pour une prise en compte réelle de ce que les personnes disent. L’éthique est nécessaire pour que chacun s’exprime en confiance.

« Parce qu’elle constitue un élément essentiel d’un espace public sain. Dans un régime démocratique, dit Habermas, la légitimité politique doit s’enraciner dans l’entente communicationnelle et dans le débat argumenté et public, producteur de consensus. Cette façon de faire s’oppose aux purs rapports de force, à la violence (physique ou autre) et aux diktats de régimes absolutistes fondés sur une personne ou sur un principe. On rencontre ici l’opposition entre la Raison démocratique et l’Absolu du dictateur. Or, la raison ne peut s’exprimer qu’à travers le langage. Le consensus, produit du travail communicationnel du langage, est dès lors la seule façon humaine d’approcher ce que la raison peut espérer atteindre, provisoirement, en matière de vérité. Cela revient en somme à remplacer une universalité fondée sur la Vérité par une universalité basée sur le consensus. Cette approche du consensus, il faut un processus pour y conduire : c’est l’éthique de la discussion. »[4] 

Principes d’un débat éthique

Tout débat nécessite la construction de la confiance et du respect.

Quelles sont donc les caractéristiques de ce processus ? « D’abord, qu’aucun principe ou valeur, ne peut être posé hors débat par rapport à la critique. Ensuite, que l’on s’efforce de mettre en pratique, aussi largement que possible, les principes de l’interaction communicationnelle, à savoir :  
 
   ◊ la publicité de la discussion ;
   ◊ la participation au débat du plus grand nombre d’interlocuteurs, spécialement ceux qui ont un intérêt direct pour l’objet du débat ;  
   ◊ le caractère non fini du débat (compte tenu cependant des nécessités et urgences de l’action et de la décision) ;
   ◊ l ‘égalité et la liberté des participants au débat : pas de rapports d’autorité, de domination ou de contrainte ;
   ◊ le principe de l’argumentation : toute affirmation peut être discutée ; l’argument qui résiste à toutes les objections est, provisoirement, le meilleur, c’est à dire le plus rationnel ;

   ◊ le principe du consensus : l’entente, l’accord argumenté et justifié est le but et l’aboutissement normal de l’interaction communicationnelle ; l’accord ainsi obtenu justifie la décision et l’action ;     
   ◊ le principe de la réversibilité : tout accord doit pouvoir être remis en question si de nouveaux arguments apparaissent ».[5] (2) En supposant que les conditions d’un débat communicationnel correct soient remplies, que peut-on en attendre dans une discussion ou une négociation ? La portée de la pensée d’Habermas est que, pour l’humain, il doit être possible, par un travail bien conduit de la raison et du langage, de dépasser les impasses où mènent à la fois les principes absolus et les intérêts locaux. Elle implique aussi que dans la conduite des affaires humaines aux temps post-absolutistes, une situation résultant d’un consensus est toujours meilleure (ou moins pire) que si elle est imposée sans discussion par quelques uns (cfr. le Traité de Versailles).[6]

Aux principes énoncés ci-dessus par G. Hottois et Rodolphe de Borchgrave, nous ajouterons que

  • Le débat est ouvert à tout individu.
  • Le débat demande de l’écoute.
  • Le principe de dissensus : le débat peut aboutir à un accord sur des points de divergence justifiant la décision et l’action.
  • Le débat sera honnête, équitable et appuyé sur une bonne connaissance factuelle, bien encadré par des règles systématiques.
  • Le débat sera exempt de toute domination d’un membre sur le reste du groupe.
  • Le débat respectera les dissensions au sein du groupe.
  • Le débat public doit faire oeuvre pédagogique pour aider le participant dans son expression personnelle.
  • Le débat doit reposer sur l’indépendance de penser et de pensées.
  • Tout libre débat public doit s’exercer dans une transparence sans concession sur le plan des initiateurs, des modalités, des techniques, des contenus, des coûts et des budgets.
  • Au titre du libre débat public, aucun paiement sous quelque forme que ce soit ne peut être demandé à un participant de visu ou via le net. Le débat public est libre et gratuit.
  • Dans le débat, chacun accepte l’autre comme il est.
  • A tous les niveaux (de l’information sur les enjeux, au vote), le débat demande de ses participants qu’ils soient sensibles au fait de ne pas se sentir ni perdants ni gagnants.
  • Les participants au débat ne se positionnent ni en bourreau ni en victime ni en sauveur.

Cette charte du débat pourra être révisée en fonction des expériences réalisées par La Fondation pour le Débat ou auxquelles elle aura participé ou que l’on aura porté à sa connaissance.

[1] Ces règles doivent encore être définies
[2] Méthodes participatives, Un guide pour l’utilisateur, Fondation Roi Baudouin, mars 2006
[3] Page 37, Stéphane Haber, J. Habermas, une introduction, Pocket/La Découverte, coll. Agora, 2001
[4] G. Hottois, De la Renaissance à la modernité, ch. 19, Ed De Boeck (1997)
[5] G. Hottois, op cit. p 400
[6] Rodolphe de Borchgrave, pour une éthique de la discussion, www.medium4you, 7 décembre 2007

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