Laïcité, c’est étrange comme ce mot résonne aujourd’hui.

By | 8 décembre 2023

La 17e cérémonie de remise des Prix de la Laïcité s’est tenue le mercredi 8 novembre 2023 dans les salons de l’Hôtel de ville de Paris.

Le jury des Prix de la Laïcité 2023 était présidé par Madame Abnousse Shalmani, historienne, journaliste et écrivaine.

Un discours à lire, à relire, à digérer, à relire, à assimiler, à relire, à partager jour après jour, … sans fin.

« 
Laïcité, ce mot qui devrait être un refuge pour tous, parce qu’il garantit la liberté pour chacun de vivre sa foi ou son athéisme au grand jour, sans crainte d’arrestation, de torture, de mort. 

 Ce mot qui autorise l’expression de n’importe quelle idée blasphématoire (c’est toujours une petite jouissance quand je dis ce mot) dans les limites du droit.

Laïcité, ce mot qui fait l’honneur de la France et qui, dans la guerre culturelle mondiale, devient un fardeau.

Ce mot qu’on doit dorénavant défendre, alors qu’il nous défendait il n’y a pas si longtemps, qu’il nous protégeait, nous consolait, nous rassurait.

Laïcité, ce mot qui se retourne en une insulte dans la bouche des ennemis de la liberté et de la France.

Sans ce mot, je ne serais pas devant vous ce soir.

Sans ce mot, mes parents n’auraient pas fait le choix de la France. 

Sans ce mot, il n’y a plus de refuge nulle part pour les amoureux de la liberté, les persécutés de l’obscurantisme. 

Respirer l’atmosphère de la laïcité après les voiles noires du fanatisme et les barbes touffues de la haine, retrouver la possibilité du choix, de la parole à voix haute, de la sécurité, fut une nouvelle naissance pour moi, comme pour tant d’autres exilés au fil du temps. 

La France, ce pays où il était moins grave d’avoir faim, car on y était assuré de trouver la liberté totale

C’est Chaim Soutine, après une enfance prisonnier de l’intégrisme religieux qui lui interdisait de dessiner figure humaine, qui choisit la France pour être libre, pour être peintre.

Tant pis pour la faim, le froid, la misère. La liberté.

La liberté, sonnait alors comme une victoire.

Aujourd’hui, nous voilà réduits à défendre la liberté et la laïcité. 
Nous voilà réduits à nous défendre de n’être ni racistes, ni colonialistes, ni islamophobes avec les guillemets de rigueur. 
Nous voilà sur la défensive. 

Car défendre la liberté et la laïcité, et l’un ne va pas sans l’autre dans le pays de Hugo et de Zola, de Baudelaire et de Pierre-Louis, du Marquis de Sade et de Marcel Proust, dans le pays de Charlie Hebdo, est devenu dangereux. 

Imperceptiblement, la liberté n’est plus le phare de toute humanité, elle est devenue louche, entachée du passé historique de l’Occident, elle est devenue la marque du dominant alors qu’elle était, à juste titre, le but de tout désir d’émancipation, l’espoir inébranlable de tout déprimé sur terre. 

Par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, l’Occident, l’Europe, la France se sont laissés dériver vers une tolérance qui laisse s’épanouir l’intolérance

«  Il est un cas où la tolérance peut devenir funeste à une nation, c’est lorsqu’elle tolère une religion intolérante » écrivait Helvétius à propos du catholicisme. Ce pourrait s’appliquer à toutes les religions et aujourd’hui, ici, maintenant, surtout à l’islamisme qui est aussi l’islam, qui est son cancer, mais aussi la conséquence de son refus buté de se réformer, de se penser, de se réfléchir au miroir de la modernité. 

Au nom d’une tolérance dangereuse, nous avons collectivement laissé prospérer l’intolérance qui tue. 

Le sang a coulé en France, le sang des journalistes, de caricaturistes, de policiers, de juifs, d’enfants juifs, de professeurs et de juifs encore. Le sang a coulé au nom de l’islamisme qui est un totalitarisme. L’islamisme réduit les hommes et les femmes à n’être que des agents de haine et de destruction. 

L’islamisme est un antisémitisme, un antiféminisme, une homophobie, un antirépublicanisme, un anti-humanisme, une fabrique de malheurs, un incubateur de ressentiments imaginaires, la promesse de ténèbres pour tous. 

Chaque fois, comme une litanie morbide, nous avons répété « plus jamais », allumé des bougies, respecté les minutes des silences, affiché des « je suis » qui sonnaient de plus en plus creux. 

Et puis, par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, nous avons oublié, nous avons continué de baisser la tête jusqu’aux prochains attentats, aux prochains assassinats, aux prochains morts. 

Nous, les laïcs, universalistes, humanistes, sommes accusés de défendre la liberté et la laïcité. Nous sommes accusés de ne pas respecter les minorités, de ne pas être tolérants, d’être de vieux cons, en somme. 

Pourquoi pas ? 

Et pourtant, le camp d’en face ment, le camp d’en face ment monumentalement. 
Il ment et trahit l’humanisme le plus élémentaire, celui qui refuse de réduire l’homme à sa naissance, qui refuse de l’abandonner au boulet de l’essentialisme. 

Le renversement de valeurs est vertigineux. 

Nous voilà coupables de défendre la possibilité de l’émancipation et de l’autonomie
Nous voilà coupables de désirer que cet enfant puisse faire un choix, son choix, qui ne soit pas réduit à n’être que la suite sans imagination de son ascendance. 
Nous voilà coupables de considérer tous les hommes égaux. 
Nous voilà sommés de montrer pattes blanches antiracistes face aux nouveaux racistes qui défendent la naissance comme identité, l’identité comme unique revendication, la couleur de peau comme personnalité, finalité, destinée, la religion des opprimés comme excuse à toutes les dérives, pire comme un laissé-aller, laissé-dire, laissé-faire. 

Le voilà, le néocolonialisme qui est reproché aux défenseurs de la liberté, de la laïcité, de l’universalisme et de l’égalité. Sous ces airs d’amour pour tous, de tendre la main aux opprimés, les nouveaux antiracistes pêchent par paternalisme. 

Ils excusent l’antisémitisme quand il émane de la religion des opprimés. 
Ils excusent l’homophobie et la misogynie quand il est dit par des cultures non occidentales. 
Ils applaudissent l’antidémocratie et le séparatisme parce qu’ils arrangent leur agenda politique et électoraliste qui les réconfortent d’être dans le bon camp, le camp du bien alors qu’ils sont téléguidés par l’idéologie islamiste. Ils ont oublié tout cela, que le chaos civile qu’ils espèrent et nourrissent n’a jamais accouché que de la prise de pouvoir de l’extrême droite. 

Je refuse de considérer l’exilé, l’immigré, le musulman comme inférieur.
Je ne lui dois pas plus de respect qu’à un autre, il est humain à mes yeux et je m’adresse à lui d’égal à égal, sans considération aucune pour le passé, à hauteur de présent, à hauteur d’homme. 

Je n’aimerais pas qu’on me regarde comme une pauvre exilée iranienne. 
Je ne suis pas franco-iranienne, je n’ai pas la double nationalité, je suis française qui est née par hasard il y a 46 ans à Téhéran. 

Donc quand vous me croisez, ne baissez pas la tête de côté par respect, considération ou pitié, vous m’insultez. 

Merci d’avance. 

Applaudissements. 

Mais si vous voulez, on peut causer du passé. 

L’Empire perse a-t-il été plus tendre que l’Empire britannique ? 
L’Empire ottoman a-t-il été moins meurtrier que l’Empire français ? 
Et pourquoi devrait-on dénoncer l’ignoble traite atlantique et la non moins ignoble, plus longue et plus barbare encore traite arabo-musulmane ? 

Ça suffit. Le passé ne condamne ni n’absout. 
L’histoire n’est pas bonne ou mauvaise, elle l’est. 

Le passé occidental n’est pas plus honteux que l’oriental. 
Et au contraire du monde oriental, qui refuse toute remise en question, l’Occident a aboli l’esclavage et inventé les droits de l’homme. 

Ça suffit. 

Applaudissements. 

Ça suffit.

Soyons conscients des erreurs honteuses du passé et fiers des avancées humanistes mais cessons de retenir notre cri face à l’horreur de l’islamisme part crainte d’être attaqué par des fossoyeurs de la liberté. 

L’islamisme tue. 

Et tue des musulmans athées au Pakistan, des étudiants iraniens, des femmes indonésiennes, des petites filles afghanes, des hommes malaisiens, des catholiques nigérians, des mécréants partout, des occidentaux, des juifs encore partout. 

L’islamisme est un ennemi du genre humain. 

Soyons un peu plus courageux et peut-être la prochaine fois nous aurons un peu moins l’impression d’avoir du sang sur les mains. 

Et profitons un peu de notre chance, de notre immense chance de vivre en France où nous avons accès à une littérature érudite et brillante qui étudie et réfléchit l’islamisme sous toutes ses coutures. 

Soyons reconnaissants à Gilles Keppel, à Bernard Rougy, à Florence Berjoux-Blackler que nous récompensons ce soir avec enthousiasme. 
Soyons reconnaissants d’avoir la chance de vivre dans un pays où il est possible de débattre, de confronter des idées, de n’être pas d’accord et de ne presque pas mourir pour ça. 
Nous n’avons aucune excuse, nous avons accès au savoir et ce savoir nous explique de long, large et travers en quoi l’islamisme est un totalitarisme. 

Heureusement, heureusement, il existe des Ukrainiens, des Birmans, des Iraniens, des Hongkongais, des hommes et des femmes partout dans le monde qui se battent pour nos valeurs à nous que nous ne voyons même plus tant nous sommes confortablement vautrés dedans. 

Nous pouvons remercier ceux qui se battent et qui meurent là-bas pour défendre ce qui n’est plus unanimement partagé ici, par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée. 

Alors soyons un tout petit peu à la hauteur des Iraniens qui, au prix de leur vie, défient l’obscurantisme de la mollarchie. 

Soyons aussi conscients qu’admiratifs des démocrates révoltés du sud-est asiatique qui, avec une folle inventivité, défient la Chine uniformatrice pour imposer leur singularité, leur liberté. 
Comment témoigne ce génial hashtag, ça ne m’arrive jamais de défendre un hashtag, c’est dire le Milk and Tea Alliance où ils revendiquent les uns de boire du thé froid très sucré comme en Thaïlande, les autres avec des graines de tapioca à la mode thaïwanaise et ceux-là avec du lait à la hongkongaise. Le tout contre l’unique thé noir de Chine. 

Soyons à hauteur des sacrifices tout autour du monde qui meurent pour respirer l’oxygène qui nous est si naturel à nous ici. 

Pour finir, en tant que présidente du prix de la laïcité, et cela n’engage que moi, je n’entraîne pas mon jury là-dedans, je ne donne pas de prix à un socialiste. 
Je les laisse se flinguer dans leur moratoire à la con à savoir si le Hamas est terroriste ou pas. 
Si le Hamas est terroriste ou pas, s’il a commis des pogroms ou pas, ou s’il fait rompre ou pas avec ceux qui disent le contraire, propage l’odieux mensonge, le négationnisme. 

Je donne un prix à un homme politique, plus courageux que d’autres. 
Pour reprendre la formule de Cocteau, il n’y a pas de laïcité, il n’y a que des preuves de laïcité. 

Pour l’instant, l’homme politique en question a fait le job, mais comme je suis méfiante, je ne lui donne rien, je lui prête. Trop de politiques ont trahi la laïcité. 

Je peux compter dans mon dos le nombre de poignards au nom de nombreux socialistes de gauche qui ont sombré dans le camp des islamistes. 

Et ça, je ne leur pardonne pas depuis mon enfance iranienne et depuis la révolution islamique de 1979, qui a vu la gauche et les islamistes se lier. 

Donc, au contraire de beaucoup, j’ai choisi mon camp. 
Chez moi, c’est ni oubli ni pardon. Nous avons choisi de donner le prix international, non pas à l’indignation facile et confortable de notre canapé face à la tellement jolie révolution perse et ses morts, ses hommes et ses femmes, qui non seulement sont courageux, mais évidemment sont génétiquement assez performants, et qui devraient juste nous faire un petit peu honte face à notre odieuse paresse, nous qui sommes incapables de défendre rageusement, en attaquant par les mollets, ce que eux payent au prix de leur vie. 

Non, nous avons choisi de donner un prix à l’avenir, au lendemain sans mollah, après la mollarchie. 

Nous donnons un prix à quelques-uns ici, qui, malgré les douleurs du passé, ont choisi de regarder vers la Perse de demain, quand le grand cadavre à la renverse qu’est la mollarchie, comme le dit très justement Marjan Satrapi, sera enterré pour de bon. 

On leur donne ce prix pour qu’ils puissent traîner devant la cour pénale de justice tous les assassins d’aujourd’hui qui tuent l’avenir en Iran. Ils réfléchissent déjà, cela, à réconcilier les Iraniens demain, après, car, n’en doutons pas, il y aura un après la mollarchie. 

Et rien, rien ne serait aide sans la culture, sans la transmission, par le drame et le rire, sans transcendance en somme. 

Peut-être que cette transcendance que nous cherchons, qui nous manque, c’est dans la culture qu’il faut aller la chercher. Nous avons choisi de dire merci et bravo à de sacrées femmes, brillantes, qui transmettent dans la joie et l’intelligence le bonheur d’être libres et laïques. 

Je voudrais terminer en dédiant cette cérémonie aux 1 400 victimes des pogroms du 7 octobre 2023. 
Et aux 240 otages, bébés, enfants, femmes, hommes, vieillards détenus par les sanguinaires terroristes du Hamas. 

Merci. 

Abnousse Shalmani

Présidente  du jury des Prix de la Laïcité 2023 – Paris

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Texte retranscrit à partir de la vidéo (à voir) : https://www.youtube.com/watch?v=BtvwU0sqG_c